En ce moment, je suis en train de cultiver, non plus mon jardin, mais mon esprit je m'arrose de livres. Tout a commencé grâce à un dénommé Des Bruyères. Cela faisait un certain temps que, dans la région, un homme semait le trouble. Il s'agissait d'un bandit qui pillait les maisons et qui s'appelait Des Bruyères, disait-on. Cet homme était surtout un mythe nul ne l'avait jamais vu mais tout délit lui était directement attribué. Il avait bon dos le chapardeur. Et puis, un soir, je l'ai enfin rencontré ! Il tentait de fuir dans la forêt car il était pourchassé par deux sbires. Et là, je ne sais pas pourquoi, je l'ai aidé à monter dans un arbre, en lui tendant une corde – ou plutôt une perche. Pendant tout ce temps, moi, je lisais. Oui monsieur, je lisais ! Il s'agissait, si mes souvenirs sont bons, de Gil Blas de Lesage. Je ne peux plus vraiment exposer comment cela s'est déroulé, mais il se fait que ce Des Bruyères a emporté avec lui mon livre pour le lire à son tour. Le temps est long quand on passe sa vie à fuir, vous savez... Ainsi donc commença une passion commune entre Des Bruyères et moi-même pour la départ, il ne s'agissait que de livres dérobés secrètement par Blaise dans la bibliothèque paternelle. Mais, très vite, Des Bruyères en voulait plus, il les dévorait comme les ogres dévorent les enfants à grande bouchée. C'est qu'il s'embêtait, lui, croupi dans son antre une sorte de terrier. Tout cela pour dire que, moi aussi, je me suis mis à les manger tout crus, ces livres ! J'étais un peu comme son goûteur », celui qui s'assurait que le livre avait du goût avant de lui dire s'il était appétissant ou non. Entre temps, sa faim grandissait, il me fallut donc changer de fournisseur c'était une véritable course pour ce grand insatiable. Heureusement, la commande était toujours servie à temps ! Finalement, après avoir donné une panoplie entière de volumes de Richardson à ce brigand, le temps s'était écoulé, l'heure avait sonné... On voulait sa mort. Elle arriva. Il fut condamné. On le pendit. Néanmoins, il partit serein, avec les ultimes passages de Clarisse Harlowe en tête. Et je repris alors le cours de la vie je recommençai à cultiver mon jardin – comme dit si bien Voltaire !Ce qui arriva ensuite dans ma vie fut, également, très... spécial, disons. Du haut du monde, la vie devient passionnante. Tout ce qui échappe au commun des mortels ne m'échappe pas, à moi. Déjà, je continuais à lire, même après la mort de Des Bruyères. Puis, petit à petit, je me sentis seul. On ne peut pas lire quelque chose, regarder quelque chose sans en discuter ensuite avec quelqu'un, échanger ses idées, ses ressentis. Bref, il y avait un manque au fond de mon c½ur. C'est là que j'ai pensé à la personne la plus cultivée que je connaisse L'Abbé Fauchelafleur ! Nous avons alors commencé à lire des bouquins ensemble, à échanger nos idées. C'était lui, maintenant, qui me fournissait. Il continuait, bien entendu, à me donner quelques cours par-ci par-là contre quelques lectures plus détendues », disons. Seulement voilà, très vite, dans la ville, le bruit se mit à courir l'Abbé achetait des livres profanes, tout autre que religieux... Lorsque le bruit revint aux oreilles de ses supérieurs, on le fit arrêter. Tout cela par ma faute. On n'entendit plus jamais parler de lui ensuite. Et je me retrouvai, à nouveau, seul avec mon vide au fond de l'âme. Posted on Monday, 10 June 2013 at 812 PM